Coucou,
Je te laisse découvrir le premier chapitre de mon treizième bébé livresque. Si tu veux te jeter sur ce roman, n’oublies pas que tu peux le commander en broché ou relié (accompagné de plein de surprises) directement sur ma boutique par ici.
1
CÔME
Décembre
Les battements de mon cœur résonnent si fort dans mes tempes que je jurerais qu’un éléphant s’est installé sur ma tête toute la nuit. Malgré mes multiples tentatives, je ne parviens pas à ouvrir les yeux. Mes paupières collées s’obstinent à rester fermées. Finalement, je gagne la bataille contre un œil, puis l’autre, avec la rapidité d’un escargot qui aurait englouti toute une boîte de somnifères la veille. Où suis-je ? Ma vision demeure floue et le filet de lumière qui arrive jusqu’à moi m’éblouit tellement que j’attrape instinctivement mon oreiller pour le poser sur mon visage engourdi par le sommeil. Mais je ne peux pas continuer à comater. Je dois réussir à ranger le bordel qui règne dans mon cerveau en oubliant, autant que possible, les abrutis de musiciens qui s’y sont installés pour un petit concert privé de hard rock.
Non sans peine, je parviens enfin à regarder autour de moi. Les moulures au plafond me rassurent. Je connais ce lieu. Les rideaux pendent de chaque côté des fenêtres, laissant passer juste assez de lumière pour éclairer l’espace sans agresser mes yeux toujours mi-clos.
Bon, Côme, respire profondément. Quelle que soit la quantité d’alcool que tu as ingurgitée hier soir, tu peux discipliner ton esprit embrumé !
L’odeur familière du bois ciré et des draps fraîchement lavés embaume la pièce. Je soulève doucement ma tête encore bien lourde et je scanne la zone pour m’assurer que je suis bien chez moi. À ma droite, la bibliothèque massive, en acajou sombre, trône fièrement contre le mur et protège toujours mes ouvrages chouchous. De l’autre côté, le chesterfield[1] est tellement jonché de vêtements que je n’aperçois que quelques centimètres de son rouge pourtant flamboyant.
Mais merde, qu’est-ce que j’ai foutu hier soir pour qu’un tel bordel règne dans ma chambre ?
Des mouvements sur l’oreiller voisin apportent une première réponse à mes interrogations. Mon cœur rate un battement. Je tourne la tête avec précaution. Je prie pour que ce ne soit pas Tonio, le barbu, plombier de son état et adepte des pantalons trop serrés laissant apparaître la raie de ses fesses, qui est installé près de moi. La tignasse blonde étalée sur les draps blancs me rassure. Ouf ! Mais même si la présence, clairement féminine, me réconforte, je suis toujours incapable de me rappeler comment cette nana a atterri dans mon pieu !
Je me lève doucement en tentant d’éviter de réveiller la Belle au bois dormant. Chaque pas est un exercice d’équilibriste. Contournant le lit, je l’observe. Ses traits fins mettent en valeur sa bouche pulpeuse. Elle semble sereine, et surtout totalement inconnue. Parfait. Comme si ma vie n’était pas déjà assez compliquée !
Les souvenirs de la veille sont si flous que je me demande si je n’ai pas tourné dans un film d’auteur français. Une soirée, une fête, peut-être un concours de jeté de noix de coco ? Aucune idée. Je scrute son visage, attendant qu’une lumière éclaire mes neurones encore déconnectés. Toujours rien. Mon cerveau est aussi vide que mon réfrigérateur le serait si je n’avais pas une armée de petites mains à mon service pour le remplir.
Je me tourne vers la baie vitrée, espérant que le jour m’apportera des réponses. Les poignées en laiton des fenêtres brillent légèrement, et le tapis épais sous mes pieds étouffe le son de mes pas. Mais pour l’instant, je suis toujours perdu.
J’enfile mon boxer retrouvé sur le sol près de la porte de ma chambre et je me dirige vers la cuisine. J’ai besoin de théine. Je ne connais pas de meilleur remède à toutes les situations, même les plus catastrophiques. Pourtant, le simple bruit de la bouilloire m’agresse et je dois mettre toute mon énergie au service de mon self-control pour ne pas la fracasser avec le premier ustensile qui me tombera sous la main. Une fois le précieux breuvage enfin entre mes mains, je pose mes fesses sur l’un des tabourets entourant l’immense îlot central de ma cuisine que je n’utilise jamais. C’était vraiment une brillante idée de donner carte blanche à la décoratrice pour agencer mon loft. Je ne dîne jamais chez moi et elle a aménagé toute la pièce à vivre autour de cette cuisine. Hyper cohérent !
À peine les volutes d’épices de mon thé noir tant espéré atteignent-elles mes narines que tous mes muscles se détendent et que des bribes de la soirée de la veille apparaissent. Je ferme les yeux et savoure chaque goutte de mon élixir en me concentrant sur mes souvenirs qui reviennent enfin. J’attrape mon téléphone pour confirmer le déroulé des hostilités. Le dernier message reçu provient de François, mon ami d’enfance dont l’extravagance est à la hauteur de sa fortune : « Toi, moi et Léonard. 22 h. L’Émeraude. »
Ça y est ! La lecture de ces simples mots réactive ma mémoire. Je sais déjà que nous nous sommes mis la tête à l’envers. Quand François nous convoque de cette manière tous les deux, c’est qu’il est à deux doigts de violenter son paternel. Tous les trois, nous avons grandi dans des milieux identiques. Nous avons bien conscience que le commun des mortels envie notre situation de privilégiés. Pourtant, la pression insidieuse exercée par nos pères pour que nous nous montrions à la hauteur des empires familiaux est telle que nous avons souvent besoin de lâcher prise en oubliant toutes les convenances. Même si pour ma part, je ne crains plus le courroux paternel, je comprends totalement mon ami. Ma gorge se noue à cette simple pensée. Papa… Tu n’es plus là, mais je te promets de ne pas te décevoir. J’espère que tu es fier de moi.
Je secoue la tête pour tenter de ranger à nouveau le fil de cette soirée. Je revois notre arrivée au club et les visages agacés de tous les mecs forcés de rester sagement à attendre dans la queue alors que nous rejoignions sans souci l’intérieur. Puis je visualise l’enchaînement des bouteilles servies à notre table et j’entends encore François déblatérer sur les derniers griefs de son papounet pendant que Léonard ne se concentrait que sur le déhanché des demoiselles sur la piste de danse.
Mais punaise ! À quel moment la blonde qui pionce dans mon lit a-t-elle fait son entrée ?
Je n’ai pas l’occasion de forcer mon cerveau à travailler davantage puisque la concernée débarque, totalement nue, dans ma cuisine. C’est rassurant. Même complètement cuit, je reste exigeant. Quand elle s’approche tranquillement des placards, mon regard bloque sur le postérieur rebondi de la naïade et je l’entends vaguement me parler, mais je ne capte pas le moindre mot.
- Côme, tu m’écoutes ?
OK ! Donc la belle connaît mon prénom. Génial. Je n’ai plus aucune chance de me trouver sur un pied d’égalité avec elle.
- Je te prie de m’excuser. J’étais plongé dans mes pensées. Puis-je t’aider…
Foutue éducation qui me pousse à rester stoïque en toutes circonstances ! « Je te prie de m’excuser » ? Sérieusement ? Je ne peux pas me contenter d’un simple et efficace : « Hein ? » pour répondre à une nana dont je ne me rappelle plus le prénom alors que je l’ai visiblement baisée cette nuit. En plus, elle ne compte, a priori, pas me venir en aide. J’ai laissé volontairement en suspens la fin de ma dernière phrase pour la pousser à s’identifier, mais elle poursuit sa quête sans prêter attention à moi.
En revanche, un détail me chagrine un tantinet. J’approche dangereusement de la quarantaine et je ne possède donc pas tous les codes de la génération de la dame qui ne doit pas avoir plus de 20 ans. Désormais, la fouille des habitations d’autrui entre-t-elle dans le guide du savoir-vivre des humains ?
Elle a écumé tous les placards lorsqu’elle plonge son regard bleu dans le mien :
- Comptes-tu me mater encore longuement avant de me dire enfin où tu ranges ton café ? En temps normal, le relucage ne me pose aucun problème, mais là, j’ai besoin de ma dose !
Je manque de m’étouffer avec ma gorgée de thé. J’écarquille tellement les yeux que je m’attends à ce qu’ils tombent sur le marbre du plan de travail dans moins de dix secondes. Non contente de s’intoxiquer avec ce truc noir infâme que certains appellent café, la blonde invente carrément des mots. Elle dispose vraiment de tout un tas de qualités exceptionnelles.
- Je n’en ai pas.
Cette fois, j’ai laissé au placard mon amabilité. C’en est trop.
- Tu n’as pas compris ma question. Je me savais douée, mais je n’avais jamais autant perturbé un mec avant aujourd’hui. Je suis touchée. Je te demandais où tu ranges ton café.
Elle appuie bien sur les deux syllabes pour s’assurer que j’ai bien capté et affiche un sourire certainement censé être enjôleur. Je vais gerber !
Je me lève d’un bond de mon perchoir et me dirige rapidement en direction de ma chambre. Avant de disparaître, je lance :
- Tu as du thé déjà infusé juste devant toi. Je dois aller bosser. Claque la porte en partant.
Je refuse de perdre de précieuses minutes à me torturer l’esprit pour retrouver le prénom d’une femme que je ne reverrai jamais. Au-delà de toutes les conneries qu’elle a débitées en un temps record, je sais que je n’aurais jamais côtoyé une buveuse de café dans mon état normal.
« N’accorde jamais ta confiance à quelqu’un qui apprécie d’ingurgiter un liquide proche de l’essence ! » Je suis bien d’accord, papa ! Next !
Une douche, un enfilage de costume et une microsieste sur la banquette arrière de ma berline plus tard, je débarque devant la tour Atlas. Je me sens tellement à la ramasse que je me suis contenté d’un vague signe de tête en direction de Georges, mon chauffeur, en guise d’au revoir. Heureusement qu’il me connaît par cœur et qu’il ne se formalisera pas de mon manque total de savoir-vivre.
Je traverse l’immense hall froid de l’immeuble, mon souffle formant de petits nuages dans l’air glacé. Seul l’écho de mes talons claquant sur le sol interrompt le silence qui règne ici. Je bénis le ciel que les Français ne travaillent quasiment pas le samedi. J’évite ainsi de croiser du monde dans les couloirs, réduisant mes interactions au strict minimum. La tranquillité du week-end est un luxe que j’apprécie particulièrement.
J’arrive enfin au dernier étage, et la vue sublime sur Paris s’offre à moi. Je l’admire chaque jour et pourtant je ne m’en lasse pas. La ville s’étend à perte de vue, et les toits gris collés les uns aux autres semblent tous tournés vers la dame de fer qui trône fièrement en plein milieu. Les premiers rayons du soleil matinal colorent les immeubles d’une teinte dorée. Cette vision réussirait presque à me faire oublier le pivert qui sévit encore dans mon crâne.
Je passe auprès du bureau de ma secrétaire, toujours fidèle au poste même le week-end. Elle lève à peine les yeux de son ordinateur en me voyant approcher. Je la paye suffisamment cher pour qu’elle reste au taquet, et elle sait que c’est ce que je souhaite. D’un ton sec, j’aboie un vague « thé » avant de foncer droit devant moi, sans attendre de réponse.
Dès que je pénètre dans mon sanctuaire, une odeur vanillée familière taquine mes narines et je me stoppe, scrutant l’espace avec une vigilance accrue.
Non, pas aujourd’hui !
Je n’ai pas le courage de l’affronter après cette soirée bien trop arrosée. L’immense bureau est inondé de soleil grâce à la baie vitrée qui offre une vue panoramique sur la ville. Les meubles en bois sombre, aux lignes épurées, contrastent avec la luminosité ambiante. Un canapé en cuir noir trône près de la fenêtre, et des étagères garnies de livres et d’objets d’art ajoutent une touche personnelle à l’ensemble.
Après quelques secondes d’observation, je repère des volutes de fumée s’élevant au-dessus de mon fauteuil, tourné vers l’extérieur. Cette fois, plus de doute, c’est bien elle. Et merde ! Mon cœur rate un battement alors que je réalise que je vais devoir faire face à son humeur redoutable, probablement exacerbée par une quantité de nouveaux griefs qu’elle ne manquera pas de me présenter.
Je prends une profonde inspiration, essayant de calmer les pulsations frénétiques de mon palpitant, puis je m’avance lentement, chaque pas me rapprochant inévitablement de l’affrontement dont je me serais bien passé.
Quand il faut y aller…
[1] Qui dit nouveau roman dit lancement des « minutes culture » que vous attendez tant. Le chesterfield est un modèle de canapé de style anglais qui date de la fin du xviiie siècle. Il est recouvert d’un capiton généralement de cuir, mais comme le fauteuil club, il s’est paré de velours et plus récemment d’autres tissus. Le rembourrage est à l’origine fait de crin ou de soie et de plume d’oie pour les coussins. C’est fort confortable et quand même mégaclasse !
Alors, est ce qu’il te plait ce faux mari ?
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