Coucou,
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ESTELLE
10 janvier 2005 – Milieu d’après-midi – Bibliothèque universitaire de Saint-Brieuc
Ce cours passionnant de sociologie n’a pas manqué de faire réagir l’ensemble des élèves. Je reste néanmoins perplexe sur les raisons réelles de cet enthousiasme. Nul doute que les théories sur le déterminisme social ont su toucher en plein cœur tous les étudiants. Cependant, en voyant toutes mes collègues féminines glousser à la sortie, je dirais que le charme de monsieur Braque se situe plus à l’origine de l’euphorie ambiante que les considérations sur notre avenir tout tracé selon notre cher Pierre Bourdieu. Être un professeur d’université trentenaire revêt quelques avantages. Nous sommes tellement habituées à tous les « anciens » enseignants soporifiques que monsieur Braque pourrait nous énumérer sa liste de courses, que nous serions pendues à ses lèvres.
En traversant la cour qui sépare les deux bâtiments, j’embrasse au moins dix personnes. J’aime cette ambiance. Depuis que je suis partie de la faculté de Brest pour celle de Saint-Brieuc, je découvre un monde à part. Tous les étudiants (ou presque) se connaissent. Toutes les spécialités sont regroupées sur le même campus. Ayant choisi la licence Administration économique et sociale, majoritairement féminine, j’avoue que je me réjouis de pouvoir côtoyer quelques spécimens masculins d’autres filières. En arrivant dans cet établissement, j’ai eu le sentiment d’entrer dans une sorte de bulle.
Je pousse les portes de la bibliothèque universitaire et tombe nez à nez avec Alexandre qui arbore encore une fois son regard de carnassier assorti de son plus beau sourire. Dès qu’il s’approche de moi, j’ai l’impression de devenir une minuscule bête blessée qui va se faire manger toute crue. Comme à son habitude il fonce droit sur moi et me prend d’office par la taille pour me parler :
- Ma chère Estelle, c’est toujours un plaisir de te voir. Dis-moi, tu as décidé de me rendre fou en choisissant cette petite jupe aujourd’hui.
Je le repousse autant que possible avec autant de conviction que celle que l’on met pour refuser une part d’un énorme gâteau au chocolat. Je reste assez grande pour une fille. Mais même du haut de mon mètre soixante-quinze pour soixante-dix kilos, je m’extirpe difficilement de ses bras musclés. Je tente d’afficher un air totalement détaché :
- Mon cher Alex, crois-tu réellement que tu hantes mon esprit jour et nuit au point que chaque matin, je choisisse mes tenues en pensant à toi ? Je suis navrée de t’apprendre que tu n’es pas le centre du monde pour toutes les femmes de la Terre.
- Arrête, pissouse ! On sait, tous les deux, que tu es folle de moi.
- Certainement dans tes rêves, je n’en doute pas.
Encore une fois, il se rapproche de moi. Tout en soulevant mon pull, il jette un œil à mon piercing au nombril et me chuchote à l’oreille :
- Plus tu me résistes, plus tu me rends dingue. Je remarque que tu as encore changé ce petit bijou. Celui-là, je sais pertinemment que tu le mets uniquement pour moi. En plein hiver, personne ne peut le voir. Un jour, tu m’appartiendras, ma belle, n’en doute pas !
Je préfère ne pas répondre. Je me dégage de son étreinte sans un mot et poursuis mon chemin vers la BU. J’ai conscience que l’effet magnétique qu’il réussit à produire sur moi finira par trop transparaître. À 20 ans, je devrais savoir faire en sorte que mon cerveau contrôle un peu mon corps. La réputation d’Alex ne laisse pourtant aucun doute sur ses intentions à mon égard. C’est un collectionneur. Je dois reconnaître qu’il est beau à s’en damner et j’ai rarement rencontré un garçon de mon âge aussi doué dans l’art de la séduction. Il ne me lâche pas depuis la rentrée. Je sens bien que plus le temps passe, plus je représente son défi personnel. Je refuse de ne devenir qu’un nom de plus sur la liste de ses conquêtes. Et puis quand j’y réfléchis, je ne le connais pas. L’ensemble des échanges que nous avons tenus ressemblait à quelques mots près à celui que nous venons d’avoir.
Je dois avouer que son empressement à me mettre dans son lit réussit au moins à améliorer mon estime de moi. J’ai toujours éprouvé des difficultés à me trouver jolie. Comme toutes les filles, je ne suis pas satisfaite de ce que j’ai. Je suis brune et j’aurais rêvé d’être blonde. Les mèches de couleurs diverses et variées me permettent de me rapprocher davantage de mon idéal. Je déteste mon nez. Sa forme biscornue ne m’enchante pas. Néanmoins, je dois reconnaître que j’apprécie la finesse des traits de mon visage. Par ailleurs, je suis assez bien proportionnée même si, bien évidemment, je me trouve trop ronde. Je soupçonne ma poitrine d’attirer plus les hommes que mon sens de la répartie.
En entrant, j’effectue un repérage des étudiants présents. En très peu de temps, j’ai compris que la bibliothèque n’était absolument pas un lieu consacré au travail. Cet endroit s’apparente plus à un carrefour de rencontres bien organisées. Chaque filière a envahi un espace bien défini.
Je monte les marches de la mezzanine en espérant y retrouver plusieurs amis de ma promotion. Je croise Céline et Colette en pleine réflexion sur leur exposé relatif à la crise de 1929 qu’elles doivent présenter demain en cours d’économie. Elles tentent d’anticiper les questions toujours plus tordues de notre enseignant.
Au fond de la pièce, j’aperçois Mathieu. Comme à son habitude, il travaille seul, avec ses écouteurs sur les oreilles. Mon cœur rate un battement. Je ne parviens pas à l’expliquer, mais il me fascine. Sans doute que son côté très mystérieux et solitaire m’impressionne. Il a un « je ne sais quoi » qui m’intrigue. Sa carrure de rugbyman, ses cheveux bruns en bataille et sa petite fossette sur la joue droite attisent mon attirance. Pourtant, je sens bien qu’il ne me prend pas au sérieux. Il m’a classée dans la case des minettes écervelées. Mon style, très girly, a pu l’amener à penser que mes préoccupations se situaient plus au niveau de la mode que de la scolarité. À l’inverse, lui passe tout son temps à travailler. Je reste persuadée qu’il va finir major de notre promotion aux prochains partiels.
Je m’approche de lui. Son parfum envahit mes narines et je manque de défaillir. Je tente de lui faire lever le nez de ses fiches :
- Alors, Mathieu, tu bosses encore ou tu fais semblant ?
Il réagit doucement, retire un de ses écouteurs et me regarde, interloqué. Je répète ma question. Il me sourit et répond :
- Tu sais bien que le sérieux me définit !
- J’en ai bien conscience, mon cher. À ce rythme-là, tu vises une mention pour ta licence. As-tu d’autres préoccupations que ton travail ou vis-tu en ermite en permanence ?
- Je préfère m’avancer. Ma copine vient passer le week-end avec moi. Tu vois, la solitude ne constitue pas mon seul trait de caractère.
Il n’est pas célibataire. J’accuse le coup intérieurement et tente de garder un ton léger en changeant de sujet :
- Qu’est-ce que tu écoutes ?
- Laisse tomber. J’ai un gros doute sur le fait que tu puisses connaître ça, toi !
- Pourquoi je ne saurais pas ?
- Je ne pense pas que ce soit ton style de musique, c’est tout !
- Ah bon ? Et quel genre de son suis-je censée aimer, monsieur « je sais tout » ?
- Je n’en ai aucune idée. Mais je dirais que si tes goûts artistiques s’accordent avec tes choix vestimentaires, je suis persuadé que tu ne connaîtras pas ! Les minettes n’affectionnent pas particulièrement ce chanteur.
Une folle envie de lui faire manger son casque s’empare de moi. Je me sens à la fois excédée par son ton condescendant et fascinée par son assurance. Je dois aimer que l’on me prenne de haut. Mes préférences musicales se limitant à la chanson française des années quatre-vingt, j’ai très peu de chance de trouver ce qu’il écoute. Mais mon orgueil m’oblige à rétorquer.
- On parie que j’élucide ce mystère ?
- Si cela peut te faire plaisir de te ridiculiser, vas-y, me dit-il en me tendant un écouteur.
Je me maudis d’avoir voulu jouer à la maline. Son estime de moi ne risque pas de remonter après l’échec cuisant qui se profile. Je soutiens son regard en enfonçant l’engin dans mon oreille. Je retiens ma respiration. Dès les premières notes, je souris. J’exulte intérieurement. C’est inespéré que ce soit justement ce chanteur. Je tente de dissimuler au mieux mon air victorieux en lui citant le nom de l’artiste.
- Ah oui ! C’est Damien Rice.
Son visage change immédiatement d’expression. Il est scotché.
- Heu… C’est bien ça ! Personne ne reconnaît, d’habitude. Mais comment connais-tu cela, toi ?
Je lui rends l’écouteur et lui chuchote au passage :
- Tu ignores encore tellement de choses sur moi, mon cher Mathieu. Tu devrais te méfier des apparences.
Sur ces paroles, je continue mon chemin sur la mezzanine en tentant d’arborer l’air le plus détaché possible. En m’arrêtant à la table suivante pour discuter avec d’autres amis, je jette un œil discret vers Mathieu. Il semble abasourdi. La petite Estelle dans ma tête effectue une danse de la joie. J’ai réussi à me faire remarquer par LUI. Je crois que trois jours se révéleront nécessaires pour m’en remettre. Certes, il a quelqu’un, mais ce sont des choses qui peuvent changer.
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Bisous Poutous