Coucou,
Je te laisse découvrir le premier chapitre de mon quatorzième bébé livresque. Si tu veux te jeter sur ce roman, n’oublies pas que tu peux le commander en broché ou relié (accompagné de plein de surprises) directement sur ma boutique par ici.
PROLOGUE
GASPARD
Dix ans auparavant
À ce rythme-là, je vais finir beurré comme un petit LU[1] avant 22 h. Chaque fois qu’elle sourit à un autre, je bois. Dès qu’elle regarde quelqu’un d’autre que moi, je bois. Et, étant donné que je n’existe absolument pas à ses yeux, je picole non-stop !
Coincé entre ces deux types que je connais à peine, je me demande encore pourquoi j’ai accepté de suivre le groupe jusqu’à ce bar aussi bondé que bruyant. Nous sommes au moins quinze, rassemblés autour de la minuscule table en bois. Nous ressemblons à des pingouins, protégeant leurs œufs, en attendant le retour de leurs pingouines[2]. Évidemment, ces grognasses préfèrent se gaver de poissons plutôt que de se magner le derrière pour revenir nourrir leur famille.
Les premières notes de Shake It Off s’élèvent, accompagnées par les cris de joie de toutes nos collègues féminines, et je vérifie une nouvelle fois les différentes issues de secours envisageables. Je ne comprendrai jamais l’engouement des nanas pour cette chanteuse à mon sens aussi populaire qu’éphémère. Je serais prêt à parier que dans dix ans personne ne parlera plus de cette blondasse maigrichonne[3].
Le regard désapprobateur que me jette Pierre me ramène à la réalité du moment. Je cesse d’imaginer toutes les possibilités de disparaître discrètement qui s’offrent à moi et je me reconcentre sur la conversation.
- Non, ne me parlez pas encore des sites de rencontre. J’ai assez donné, lance une nénette à l’assemblée.
- Arrête, Mélissa. Tu te plains sans cesse de ne pas avoir de mec et tu refuses toute méthode fiable pour en trouver un, lui répond une brunette, plutôt jolie d’ailleurs, assise à quelques mètres de moi.
Je dois admettre que Pierre n’a pas tort. Je dois vraiment faire un effort pour apprendre à connaître nos collègues de promo. Je suis bien incapable de mettre un nom sur le moindre visage, même si les cours ont débuté depuis plus de trois mois. Mais mon ami se goure. Il y a un prénom que j’ai retenu dès notre entrée dans le premier amphithéâtre : Clara. Cette nana m’obsède. Elle est un mélange parfait entre le chaos et la grâce, le genre de fille qui te donne l’impression que tout ce qu’elle fait est naturel, alors qu’au fond, c’est sûrement calculé. Mais je ne trouve pas cela négatif, bien au contraire. C’est juste qu’elle sait exactement qui elle est. Dès qu’elle entre dans une pièce, elle ne fait pas exprès d’attirer l’attention, mais tout le monde la remarque. Moi le premier. Ses cheveux, bruns et un peu en bataille, tombent comme ils veulent. Ils sentent sûrement encore une fragrance aussi douce que sauvage. Enfin, je ne peux que l’imaginer puisque je n’ai jamais réussi à m’approcher d’elle. Et ses prunelles… Un noir si profond que parfois, quand elle me regarde, j’ai l’impression qu’elle est capable de décrypter mon âme. Elle sourit tout le temps, avec cette petite étincelle malicieuse dans l’œil, comme si elle avait toujours une remarque sarcastique en réserve.
Son éclat de rire me tire de ma rêverie. Je secoue la tête machinalement pour tenter de discipliner mes pensées, mais sa voix s’élève et ses lèvres qui bougent au rythme de ses mots attirent immédiatement mon attention.
- Les filles, vous savez pertinemment que Mélissa a raison. Si vous réussissez à me sortir deux entrées en matière plus originales que le classique « Salut, ça va ? » je pourrai admettre que les sites de rencontre permettent encore de croiser des hommes distingués, cultivés et intéressants. Inutile de préciser que les voyelles se font souvent la malle et que l’orthographe est plus qu’approximative dès les premières phrases. Que celles qui n’ont jamais reçu un « Slt, sa va ? » lèvent la main.
Toutes les femmes présentes confirment à l’unisson les dires de ma Clara, et mes congénères semblent se joindre à moi dans la recherche désespérée d’une porte de secours. Bienvenue, messieurs ! En l’absence de solution, je vous conseille d’enchaîner les pintes pour oublier que ces dames sont en train de décrire la plupart de vos accroches désastreuses.
- Tu es mauvaise langue, Clara, affirme la jolie brune. Je suis certaine que nous avons toutes reçu une autre version !
- Tu baises ? annoncent plusieurs nanas en chœur avant d’éclater de rire.
Je jette un regard vers Pierre qui semble ressentir la même honte que moi, d’ailleurs comme tous les hommes présents ce soir. Pourtant, je ne me suis jamais inscrit sur un site de rencontre, mais à cet instant, j’ai presque envie de m’excuser au nom de tous ceux qui disposent d’un pénis. À quel moment les mecs pensent-ils qu’une entrée en matière située en dessous de la ceinture peut faire mouche ? Mon espèce est affligeante !
Durant une bonne demi-heure, la conversation se poursuit sur le même thème. Les hommes se tassent dans leur fauteuil à mesure que les femmes présentes balancent toutes les répliques subtiles qu’elles ont pu recevoir.
Lorsque je quitte le bar et que je marche en direction de mon appartement, je ne peux m’empêcher de m’interroger sur ce phénomène. Les mâles sont-ils tous des animaux seulement concentrés sur la possibilité de copuler ? Pourtant, j’ai tout de même le sentiment que les garçons intelligents et délicats existent. Mais, à en juger par les regards gênés des messieurs présents ce soir, je suis persuadé que plusieurs de mes collègues de promo se reconnaissaient dans les répliques débiles et lourdes transmises par les filles. Si même les étudiants de l’ESSEC[4] se transforment en primates quand ils se trouvent derrière un écran, le problème est peut-être ailleurs. Ces mecs se sont quand même tapé des années de prépa épuisantes. Je ne peux pas imaginer qu’ils soient tous idiots.
Lorsque je m’affale enfin sur mon lit trop froid, mon esprit s’égare à nouveau… Mes mains parcourent chaque centimètre de son corps et je mordille son épaule en savourant la douceur de sa peau.
Gaspard, stop !
Je dois trouver un moyen de ne plus la laisser s’insinuer en permanence dans ma tête. Elle m’a bien fait comprendre que rien ne serait jamais envisageable entre nous. Si elle continue à m’obnubiler de la sorte, je vais devenir totalement cinglé. Je dois dégotter une distraction suffisamment puissante pour court-circuiter mes neurones.
Je m’installe devant mon ordinateur, bien décidé à dénicher une nouvelle obsession plus saine. La discussion de ce soir a piqué ma curiosité. Une étude sociologique des méthodes de séduction de mes semblables réussira peut-être à réorienter mes pensées, ou au moins à me divertir assez pour que j’arrête d’imaginer Clara dans tout un tas de situations hypothétiques, des plus banales aux plus… STOP !
Je tape dans la barre de recherche « meilleur site de rencontre » et les résultats défilent. La plupart ont des noms ridiculement génériques. Je clique sur le premier qui s’affiche et également le plus connu.
Après un rapide coup d’œil, je m’inscris sous un pseudonyme aussi neutre que possible : « Emma ». Je veux comprendre. Je dois donc me mettre dans la peau d’une femme. J’invente quelques détails pour étoffer le profil : 27 ans, brune, passionnée par la lecture et les voyages. Je reste sur un truc assez classique pour ne pas éveiller les soupçons, mais assez attrayant pour recevoir quelques messages. Je télécharge une photo d’une inconnue trouvée sur le net. Je prends soin de choisir une nana suffisamment banale pour ne pas attirer une foule de pervers en chaleur.
Après que j’ai rempli les informations de base et cliqué sur « Terminer », la première notification ne tarde pas. « Salut beauté, t’as des plans ce soir ? » Sérieux, les mecs ne perdent vraiment pas de temps.
Je me cale bien au fond de mon fauteuil, prêt à explorer les profondeurs abyssales de la séduction en ligne. Les messages s’enchaînent, et tous rivalisent de créativité.
« Hey, tu veux faire connaissance ? » « T’es magnifique, j’adore tes yeux. » (OK, il a clairement cliqué sur la photo sans même lire le profil.) « T’as un mec ? Sinon j’peux t’en présenter un plutôt cool, moi. »
Je souffle. J’ai passé à peine quelques minutes sur cette plateforme et j’ai déjà envie de me pendre. C’est affligeant. Mes collègues n’exagéraient pas une seconde. Ces mecs enchaînent les banalités et les sous-entendus pesants comme si c’était un concours. Les Jacky lourdauds se succèdent et aucun ne réussit à relever un peu le débat.
Mais ce n’est pas ça le plus intéressant. Ce qui me frappe, c’est la quantité. J’ai reçu des dizaines de messages en à peine dix minutes. Je n’ose pas imaginer ce que doit ressentir une vraie fille, une qui est là sérieusement. Impossible de ne pas se sentir assiégée par ces flots incessants de sollicitations toutes plus médiocres les unes que les autres.
Vingt minutes après mon inscription, le premier classique et inefficace « Salut, tu baises ? » me brûle les yeux.
Merde. Tous les hommes sont-ils donc de gros porcs ?
Les mecs ne se donnent même pas la peine d’écrire la moindre introduction, comme si les simples lettres de l’alphabet formaient la clef magique de leurs fantasmes. Je découvre une forme primitive de communication qui fait honte à mon espèce. Quel est le projet ? Que sont-elles censées répliquer ? « Oui, bien sûr, rendez-vous derrière la supérette à 22 h » ?
Je prends une gorgée d’eau pour me calmer un peu. Je savais que ce serait moche, mais je ne pensais pas que ça irait aussi vite.
Décidé à pousser l’expérience plus loin, je commence à répondre à certains. Avec un mélange de curiosité scientifique et de cynisme, je teste différentes approches. Je réagis poliment, puis je me montre froid et parfois carrément sarcastique. Dans chaque cas, la réponse se résume soit à un abandon rapide, soit à une tentative de séduction encore plus lourde. Certains se vexent, d’autres insistent, comme si répéter une phrase identique quinze fois permettait de l’ancrer dans le cerveau des nanas.
Et puis, il y a ceux qui se mettent à argumenter :
« Tu sais, je suis pas comme les autres, moi. »
Ah oui, le classique. « Pas comme les autres ». Je pourrais écrire un livre entier sur cette phrase. Chaque homme sur terre semble être convaincu d’être unique, spécial, supérieur aux autres mecs qu’il méprise en secret, alors qu’ils utilisent tous les mêmes phrases copiées-collées.
Je ne peux m’empêcher de sourire en pensant à ce que Clara dirait. Elle aurait sûrement une réplique mordante, du genre à couper ce mec en deux, sans même lever les yeux de son téléphone.
Après une heure passée à explorer cette jungle digitale, je me rends compte de deux choses. Premièrement, les filles ne mentent pas : la montagne de banalités et d’insultes déguisées sous couvert de compliments est bien réelle. Et deuxièmement… je suis plus désespéré que jamais. Même en étant de l’autre côté de l’écran, je pense toujours à elle. Clara. Chaque mot que je tape, chaque conversation que je lis, je me demande ce qu’elle en dirait. Je ne peux m’empêcher de m’interroger sur ce qu’elle me balancerait si elle savait que je me suis lancé dans cette expérience bizarre, juste pour essayer de comprendre ce que les femmes vivent.
Je soupire en éteignant mon ordinateur avant de m’avachir à nouveau sur mon lit. La lumière bleutée de l’écran disparaît doucement, laissant place à l’obscurité de ma chambre. La pièce semble plus silencieuse maintenant, mais mon esprit est encore en ébullition, assailli par les réflexions de cette soirée numérique.
Une pensée s’impose de plus en plus clairement : ces sites de rencontre, avec leur flot incessant de sollicitations et leur rythme effréné, engendrent une culture de zapping perpétuel. La profusion de messages, souvent anodins ou désespérément banals, entraîne une sorte de saturation cognitive. Nous sommes bombardés d’interactions si rapidement que nous en venons à ne plus vraiment voir ni entendre ce qui pourrait être intéressant.
Chaque notification est une promesse de nouveauté, mais ce n’est qu’une illusion. Les missives se ressemblent toutes, les tentatives de séduction sont prévisibles et redondantes. La majorité des hommes semble se fier à des recettes éculées, usées jusqu’à la corde. Cette constante répétition de phrases creuses et d’approches clichées ne fait que renforcer la désaffection croissante des femmes pour ce mode de rencontre. Elles deviennent presque immunisées contre toute forme de sincérité ou de vraie conversation, parce qu’elles doivent trier un nombre incalculable de messages insignifiants.
Ce phénomène est d’une tristesse presque tragique. Nous avons tellement d’options que nous n’avons même plus la patience de véritablement explorer chacune d’entre elles. Chaque phrase est jugée en une fraction de seconde. Si la première impression ne capte pas immédiatement l’attention, le message est balayé sans retour. C’est comme faire défiler des images sur un écran, sans jamais s’arrêter pour en apprécier une en particulier. La superficialité devient la norme, et ce qui pourrait être une connexion authentique est souvent perdu dans la masse de sollicitations incessantes.
Je secoue la tête en essayant de chasser ces pensées.
Et moi, dans tout ça ? Je me rends compte que je suis en train de m’enfoncer dans un labyrinthe de réflexions pour échapper à l’évidence : même en explorant ce monde virtuel, Clara me hante toujours.
Malgré tous mes efforts pour résister, je sens le sommeil m’emporter vers les bras de celle que je n’aurai pourtant jamais.
[1] Qui dit roman de Mélanie Rafin dit référence de qualité. Je me dois donc de débuter par une minute culture. En 1846, deux artisans-biscuitiers, Pauline-Isabelle Utile et Jean-Romain Lefèvre fondent une pâtisserie artisanale du côté de Nantes. En 1882, Louis Lefèvre-Utile, leur plus jeune fils, rachète l’entreprise familiale et décide d’industrialiser la production de biscuits. En 1886, il crée le célèbre Petit Beurre et en 1887, il fonde la société LU (les initiales de Lefèvre-Utile). Le Petit Beurre de LU n’est pas un simple biscuit. Le mec était quand même super motivé pour se triturer l’esprit. Louis Lefèvre-Utile avait un objectif : faire passer le message que son biscuit pouvait se consommer toute l’année et à tout moment. Pour y arriver, il utilise la forme de son gâteau. Le biscuit compte quatre angles qui correspondent aux quatre saisons de l’année. Il y a quarante-huit dents autour du biscuit, sans compter les quatre angles. Il y a donc un total de cinquante-deux dents qui correspondent au nombre de semaines dans une année. Et il y a vingt-quatre points sur la face du biscuit… qui correspondent aux vingt-quatre heures dans une journée. Je sens que cette information essentielle changera votre vie à tout jamais. De rien !
[2] Je vous interdis d’avoir l’esprit mal tourné sur ce charmant nom d’animal. Pour les plus sceptiques, sachez que j’ai vérifié et qu’elles s’appellent bien comme cela. Je ne commenterai pas cette information.
[3] Vous noterez la clairvoyance de Gaspard. L’engouement pour une certaine Taylor Swift a totalement disparu ! Plus personne ne hurle son nom après avoir patienté des jours entiers devant le Stade de France pour se trouver au plus près de l’artiste.
[4] École supérieure des sciences économiques et commerciales. L’ESSEC Business School, créée en 1907, fait aujourd’hui partie des écoles de commerce françaises les plus cotées.
Alors, est ce qu’il te plait ce faux mari ?
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