La malice de l’écureuil (1er chapitre)

Coucou,

Je te laisse découvrir le premier chapitre de mon septième bébé livresque. Si tu veux te jeter sur ce roman, n’oublies pas que tu peux le commander en broché ou relié directement sur ma boutique par ici. 

Prologue

CAPUCINE

Trois ans plus tôt… Décembre 2018

Non ! Je ne peux pas ! Je me ferais attaquer par une multitude d’associations de protection en tout genre qui se précipiteraient pour me lyncher. Je deviendrais même certainement un symbole pour leurs causes. Eh oui, étrangler un lutin du père Noël est passible de poursuite judiciaire. Bon, je pourrais m’en sortir en plaidant la légitime défense au tribunal. Moi, je dis que cela se tente !

Depuis dix minutes, je poireaute dans le froid à deux pas de l’entrée de ce foutu marché de Noël et ce petit con agite sa cloche sous mon nez sans s’arrêter en ponctuant les tintements par d’insupportables phrases du style : « Venez profiter de l’ambiance de Noël en buvant un bon chocolat chaud » ou autres : « Oh, oh, oh, qui n’a pas encore sa photo souvenir avec le père Noël ? ».

Alors je m’interroge ! Au-delà de l’évidente tête à claques de cette petite personne, qui a envie de dépenser cinq euros pour un peu d’eau tiédasse agrémentée de poudre chocolatée servie dans un gobelet en plastique (la planète vous remercie !) qui sera immanquablement froide après trois pas dans les allées ? Par ailleurs, à quel moment des parents, un minimum sains d’esprit, décident-ils de laisser leur progéniture s’asseoir sur les genoux d’un vieux barbu inconnu au sourire flippant qui leur promet des bonbons s’ils restent bien sages pour la photo ? Je ne pense pas me tromper en affirmant que le coup du père Noël doit figurer tout en haut de la liste des bons plans échangés entre pédophiles lors de leurs soirées débats.[1]

Donc pour résumer, le morpion de lutin à l’air maladif est en train de proposer aux passants de choisir entre siroter un peu d’eau glacée vaguement chocolatée ou fricoter avec un pervers pépère bien content de trouver des proies consentantes. Ah, Noël ! Quel bonheur !

Pourtant, à la base, je suis une grande fan de cette période, censée enchanter tout le monde d’ailleurs. Mais cette année, je n’y arrive pas. Je n’y arrive plus. Malgré les multiples illuminations qui recouvrent les immeubles de la ville, je ne parviens pas à me réjouir. Tout me semble terne et triste. Je tente, par tous les moyens, de me rebooster, mais rien n’y fait. Le monde extérieur demeure gris et fade.

 

Toujours absorbée par mes pensées aussi flippantes que déprimantes, je sursaute lorsqu’une main se pose sur mon épaule, et me retourne, prête à frapper le malotru qui ose me toucher.

  • Ouh là ! Tout doux, Jackie Chan[2]. Ce n’est que moi.
  • Punaise, Bérénice, tu ne tiens pas à ta vie, toi ! J’ai failli te décapiter !
  • N’exagère pas non plus ! Du haut de ton mètre cinquante-cinq, tu ne vas pas pouvoir faire grand-chose contre moi.
  • Tu rigoles ! Je me suis musclée à fond ces derniers mois !
  • Je n’en doute pas. C’est de porter une crevette de trois kilos qui doit te permettre de développer tes muscles autant que Rocky Balboa ! Bon, quand tu auras fini de dire n’importe quoi, on pourra peut-être se bouger. Il est déjà 18 h passées. Les autres filles nous attendent. Nous devons débarquer chez elle dans moins d’une heure.
  • As-tu conscience que mes oreilles saignent à force de supporter leurs foutus chants, vu que je patiente devant ce charmant marché de Noël depuis au moins une demi-heure ?

Évidemment, elle ne daigne même pas réagir et reprend son chemin d’un bon pas. Bon, je vais au moins pouvoir m’éloigner de cette mièvrerie de Noël insoutenable. Il me reste quelques minutes avant de rejoindre la meute de nénettes déchaînées. Je dois mettre ce temps à profit pour enfiler mon plus beau masque de la femme la plus heureuse du monde. Même si intérieurement, je suis absolument détruite, je n’ai pas le choix. Je dois afficher mon plus beau sourire de façade. Aujourd’hui, c’est sa journée. Alors, Capucine, tu respires un grand coup et tu oublies durant une seule soirée le bordel qui règne dans ton cœur et dans ton corps.

 

Deux heures et quatre shots de vodka plus tard, je commence presque à apprécier cette sortie. Bien sûr, nous avons eu droit à tous les clichés de ce genre de soirée. J’ai d’abord déprimé lorsque Stella a dû faire la bise à une tonne de garçons dans la rue. Surtout que pour rendre cette expérience encore plus glamour, Bérénice n’avait pas oublié le pèse-personne permettant de noter le poids de chacun des messieurs embrassés. Heureusement pour la dignité de Stella, cette douce activité n’a pas duré trop longtemps. Ensuite, j’ai envisagé d’étrangler Béré quand nous sommes entrées dans une pièce feutrée pour, je cite, « enregistrer une super chanson toutes ensemble ; comme cela, on aura un méga bon souvenir ! ». Nous avons donc effectivement récupéré un disque grâce auquel la future mariée pourra sans problème torturer son époux au besoin en appuyant simplement sur la touche lecture. Déjà, le choix de la douce mélopée du jour était plus que douteux. Mais nous avons clairement créé une arme de destruction massive lorsque nous avons alterné entre les « Viens voir le docteur. Non, n’aie pas peur » et les gloussements collectifs. En même temps, quand notre cher Doc prononce ces quelques mots « Tu viens d’avoir 15 ans, hummm intéressant… »[3], des adultes normalement constituées devraient s’offusquer. Mais, non ! Cette simple phrase, pourtant relativement immonde, a provoqué des applaudissements et autres cris de joie. J’ai donc renoncé à tenter de comprendre le fonctionnement du cerveau de mes amies et me suis résolue à me dandiner.

Je reconnais que le service de plusieurs coupes de champagne a grandement facilité ma déconnexion. Bénis soient les organisateurs d’enterrements de vie de jeune fille qui pensent à nous hydrater régulièrement.

 

Après ce florilège de divertissements originaux et tellement agréables, nous avons enfin migré jusqu’à un bar de nuit où nous avons pu nous sustenter de tapas en tout genre et surtout profiter de la carte fournie des cocktails.

Je savoure chaque gorgée des breuvages qui réchauffent mon gosier tout en dissipant en partie cette angoisse permanente qui ne me quitte plus depuis plusieurs mois. Lorsque Stella se rapproche de moi, je m’efforce d’afficher un air réjoui.

  • Alors, ma Capu, comment vas-tu ? Cela fait un moment que je ne t’avais pas vue. En même temps, tu dois être aux anges !

Ça y est ! Nous y voilà. Ce moment que je redoutais tant. Comment suis-je censée me comporter ? Que dois-je répondre ? Quand pour l’ensemble de la société, je devrais nager dans le bonheur, comment puis-je expliquer qu’il n’en est rien ? Mon cœur doit ressembler aux abords d’une centrale nucléaire après son explosion. Le fameux bien-être que je me dois de ressentir est très loin. Je ne suis plus qu’une loque totalement perdue et vidée. Même si mon visage reste impassible, mes larmes coulent en permanence à l’intérieur. Est-ce que ma jolie Stella pourrait se rendre compte à quel point je ne suis plus que l’ombre de moi-même ? Comment puis-je verbaliser cette douleur lancinante et sourde qui ne me quitte plus et qui s’amplifie au plus profond de mon être depuis des mois ? Je ne peux pas. Je ne le veux pas, d’ailleurs. Alors comme j’ai pris l’habitude de le faire, je me contente de confirmer ce bonheur immense et évident pour tous en souriant.

  • Tout va bien, ma Stella ! Mais aujourd’hui, nous ne sommes pas là pour parler de moi ! Comment te sens-tu, toi ? Le mariage est dans quatre mois, c’est cela ? Je suppose que tout est prêt et que vous devez être impatients ?

Et la palme de la meilleure pirouette permettant de changer de sujet est attribuée à Capucine ! Comment recentrer une future mariée sur elle-même ? C’est simple ! Il suffit de lui parler dudit mariage ! Stella ne se fait pas prier pour se lancer dans une énumération de toutes les complications organisationnelles rencontrées. Au passage, le futur époux se prend quelques taquets dans le nez pour son manque d’implication. Bref. Grâce à cette petite perche, j’évite soigneusement de disserter sur ma vie et écoute mon amie se plaindre durant de longues minutes.

Durant tout le reste de la soirée, je surveille la ruche de mes amies qui se meut sur la piste de danse et ricane à longueur de temps. Je les envie. Leur insouciance, leur bonheur, leur joie… Tout paraît simple. J’ai le sentiment que mon esprit s’éloigne de plus en plus de mon corps, comme si j’observais mon existence sans la vivre.

 

Installée seule sur l’immense banquette, je ne remarque pas tout de suite l’homme qui me tend un verre. Lorsque je relève enfin les yeux, je tombe nez à nez avec une ombre méga imposante sans parvenir à distinguer le moindre visage. Un géant serait-il entré dans cette boîte sans que personne ne s’en aperçoive ?

Monsieur Muscle s’assied près de moi, sans me demander la permission, et me tend un verre de ce qui semble être une margarita. Sérieusement ? Je suis donc tombée encore sur un spécimen ayant visionné beaucoup trop de séries américaines gnangnan et persuadé que les nanas ne boivent que ce genre de cocktails. Et encore, je devrais me réjouir, j’ai évité le cosmopolitan.

  • Je n’allais pas laisser une si jolie jeune femme seule dans la pénombre. Nous sommes installés, là-bas, plusieurs amis et moi. Je me suis donc dévoué pour venir te tenir compagnie.

Je relève la tête vers le lieu indiqué et je repère vaguement une dizaine de messieurs, les yeux de chacals rivés vers nous. Je suis donc devenue officiellement le trophée de leur tombola du jour. Si je veux empêcher l’inévitable défilé de mâles qui ne manquera pas de suivre après avoir éconduit le premier de la meute, j’ai intérêt à me montrer particulièrement convaincante. J’entrouvre la bouche, prête à lui balancer ma plus belle tirade assassine à base de moqueries en dessous de la ceinture et autres coups bas mesquins, mais ô combien jouissifs. À cet instant, je sursaute en sentant une main se poser sur mon épaule opposée :

  • Ma chérie, te voilà ! Cela fait bien une heure que je te cherche partout. Tu m’as manqué.

Le parfait inconnu débarquant de nulle part termine sa réplique en déposant un léger baiser sur ma nuque. Je devrais évidemment m’offusquer et lui balancer une droite en plein visage, mais je demeure stoïque. Son parfum à la fois épicé et sucré taquine mes narines au moment où il retire ses lèvres de mon cou et je reste bloquée sur l’immense sourire qu’il me lance. Le roi de la margarita se confond en excuses et disparaît immédiatement. Là, normalement, c’est le moment où je devrais démonter la tête de ce malotru qui a osé s’approcher de moi et me revendiquer comme étant sa propriété en toute décontraction. Pourtant, je ne bronche pas. Mon regard remonte de quelques centimètres et reste bloqué, comme happé par les yeux sombres qui me fixent intensément. Nous demeurons ainsi, silencieux, à nous observer durant un long moment.

Pourquoi est-ce que je ne réagis pas ? D’un coup, toutes les tensions, qui compriment mon corps, depuis des semaines, disparaissent. Je flotte. Pourtant, je devrais hurler et m’indigner devant une telle approche antiféministe au possible. Mais plus rien ne compte en dehors de ce regard noir qui ne me lâche pas. Tout chez cet homme m’attire. Son odeur m’hypnotise, ses yeux semblent fouiner au plus profond de mon âme et je sens toujours la chaleur de sa main, qui n’a pas quitté mon épaule, parcourir tous les pores de ma peau. Qui est-il ? Je n’en ai pas la moindre idée, mais je m’en fiche éperdument. Je n’aspire qu’à une chose : disparaître loin de ce monde en restant auprès de cet inconnu.

[1] J’entends déjà plusieurs d’entre vous penser qu’il est peu probable que de telles soirées soient organisées. Certes. Cependant, vous considérez-vous comme suffisamment calés en comportements de pédophiles pour connaître leur mode d’organisation ? Si la réponse est oui, peut-être devriez-vous consulter assez rapidement.

[2] C’est sur cette belle référence que je perds les plus jeunes de mes lecteurs ! Jackie Chan est un monsieur, certes un poil vieillissant, spécialisé en arts martiaux. Il est acteur, cascadeur, réalisateur, scénariste, producteur et chanteur. Avec une telle multitude de casquettes, peut-être même qu’il peut aussi gérer votre budget ou venir tondre votre pelouse !

[3] Mais si ! Vous connaissez ! Doc Gynéco, chanteur et poète à ses heures perdues, nous a offert plusieurs pépites douces et respectueuses de la gent féminine dans les années quatre-vingt-dix. La chanson représentant le mieux son amour des mots et sa délicatesse reste évidemment Viens voir le docteur… Si vous ne connaissez pas, je vous invite à savourer comme il se doit les paroles tout en subtilité.

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Bisous Poutous

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