Les émotions du caméléon (premier chapitre)

Coucou,

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PROLOGUE

Viviane

Janvier 2023

« Je me tiens prêt à le fabriquer quand tu le souhaiteras, ce super bébé. »

 Mon cerveau a beugué. Je ne réussis plus à le redémarrer. Cette seule phrase tourne en boucle dans mon esprit sans que je parvienne à m’en défaire. Il n’a pas pu prononcer ces mots. J’ai rêvé cet instant. Voilà. C’est cela. Je ne peux envisager aucune autre explication.

Personne ne peut balancer ces paroles dans la vraie vie. Finalement, je n’aurais pas dû sous-estimer les effets secondaires de ces cocktails bien trop traîtres. Un peu de goyave et une pointe de sucre de canne et je déconne complètement ! Bien sûr, mon état n’a aucun rapport avec le rhum qui accompagnait tous ces fruits.

Ou alors c’est le froid qui a tellement congelé mon cerveau qu’il a déraillé et inventé cette conversation bien trop surréaliste pour être véridique. Voilà ! C’est cela. Le choc thermique était trop violent.

« Tu sais que je tiens toujours mes promesses. »

Sérieusement ? Il n’a pas pu réellement balancer ces quelques mots en toute décontraction. Nous ne sommes pas en train de débattre d’un engagement à descendre les poubelles tous les jours. Nous parlons de concevoir un être humain !

Nous venons d’avoir 35 ans. Nous sommes censés être devenus des adultes responsables et posés. Nous ne pouvons plus prendre des décisions sur un coup de tête comme lorsque nous étions enfants.

« Justement, nous l’avions prévu, notre avenir, il y a quinze ans, ma Vivi. »

Nous étions des gamins. À 20 ans, nous étions persuadés que nous allions conquérir le monde. Nous pensions que rien ne pourrait nous résister. Nous étions surtout certains de détenir les clefs du bonheur que ces abrutis d’adultes ne parvenaient pas à saisir. Nous nous sentions puissants, intouchables et sûrs de nous. Nous n’étions que deux jeunes cons persuadés de pouvoir maîtriser notre avenir.

Comme si nous avions la capacité à influer sur notre futur. N’importe quoi !

« Te souviens-tu ? »

 Si tu t’installais ne serait-ce que quelques secondes dans ma tête, tu comprendrais à quel point cette question est débile. Évidemment que je me souviens de tout. Chaque instant passé ensemble est gravé en moi. Je pourrais te décrire la tenue que tu portais à notre entrée au collège. Je parviendrais à reconnaître ton parfum entre mille. Je saurais repérer ta voix aussi grave qu’envoûtante au milieu d’une foule déchaînée hurlant à pleins poumons devant un concert d’électro.

Je me souviens de tout… D’absolument tout.

Bien sûr que cette conversation est gravée en moi à jamais.

« Deal, ma Vivi adorée ! Si à nos 35 ans, nous n’avons toujours pas conçu de mouflet, nous en fabriquerons un ensemble ! »

Face à mon fou rire, tu avais conservé un calme olympien, tu avais plongé ton regard déjà si intense à l’époque dans le mien et tu t’étais contenté d’affirmer :

« Je suis sérieux, Viviane. Je refuse que de tels gènes ne perdurent pas. Si à nos 35 ans, nous n’avons pas trouvé quelqu’un d’assez intelligent pour nous apprécier à notre juste valeur et vouloir procréer avec nous, alors “fuck” le reste du monde ! Ce sera toi et moi et rien d’autre. Cela a toujours été le cas. Si à nos 35 ans, nous n’avons pas d’enfant, je te jure de te le fabriquer, ce bébé. Et tu me connais. Je tiens systématiquement mes promesses, ma Vivi ! »

Je le sais, mon Flo, que tu respectes tes engagements ! Oui ! Je te connais par cœur. Du moins, c’est ce que j’aurais affirmé, il y a encore quelques années. Nous étions les meilleurs amis du monde. Tu représentais mon pilier. Mais nous avons grandi. Nous avons évolué, et surtout, nous nous sommes éloignés.

Comment peux-tu véritablement projeter de tenir ce serment, aujourd’hui ?

Tous les gamins annoncent ce genre de connerie sans jamais plus y prêter attention une fois entrés dans l’âge adulte. Personne n’envisage de faire un bébé avec son amie d’enfance, juste parce que le soir de leurs 20 ans, ils se le sont promis.

« Je me tiens prêt à le fabriquer quand tu le souhaiteras, ce super bébé. »

Merde, Florian ! Nous n’évoluons pas dans le décor d’un film. Ici, c’est le monde réel, aussi cruel que déprimant. Je ne possède aucun des atouts nécessaires pour pouvoir rivaliser avec les princesses Disney et prendre leur place dans leur foutu conte de fées. Ma vie n’est pas une putain de comédie romantique. Loin de là !

 

 

Partie 1 – Environ vingt ans plus tôt

Chapitre 1

Viviane

Septembre 2002

Elle arrive. Je la regarde grossir à vue d’œil et je peine à retenir le fou rire qui grandit dans le fond de mon ventre depuis dix bonnes minutes. Je la connais trop bien, cette petite veine dans le creux de son cou qui menace d’exploser à mesure qu’elle poursuit cette charmante activité. Ses mains glissent tellement de fois que je peux presque sentir leur moiteur sans les toucher. J’aperçois une goutte perler sur le haut de son front, puis deux, et c’est tout son crâne qui suinte, alors que les températures extérieures en ce mois de septembre ne peuvent justifier cette soudaine augmentation de sa chaleur corporelle. Son teint pourtant aussi pâle que le mien à l’accoutumée se rapproche désormais davantage de celui d’un homard sortant de son bain bouillonnant. Elle va exploser d’ici peu. Je le sais. La colère arrive. J’ai expérimenté tellement de fois cette scène que j’ai bien conscience que l’issue est inéluctable. Et même si je ne doute pas que toute personne se trouvant dans son périmètre visuel lors de la déflagration imminente risquera sa vie, je ne peux m’empêcher de rester à l’observer.

Lovée confortablement sur le canapé, je poursuis ma lecture fictive d’un livre que je ne suis même pas certaine de tenir à l’endroit tant le spectacle qui se joue devant moi me passionne. Lorsque j’entends sortir de son corps des sons plus proches de ceux d’un bouledogue en pleine canicule que de ceux mélodieux d’une femme distinguée, je sais qu’elle avoisine le point de rupture. Je me demande seulement quel sera le déclencheur. Mais je n’ai pas besoin de patienter bien longtemps. Mon frère pénètre dans l’antre du lion et balance une pile de livres sur la table de la cuisine avec autant de délicatesse qu’un rhinocéros débarquant dans une verrerie. D’ailleurs, quand j’y pense, il ne possède pas que ce trait de caractère en commun avec ce gentil animal. Aussi bas sur pattes qu’eux et avec un regard renfrogné qui paralyserait un tueur en série, il n’a pas besoin de cornes pour se fondre aisément dans un troupeau sans se faire remarquer.

Édouard effectue un demi-tour rapide, persuadé qu’il va pouvoir regagner sa tanière et poursuivre ses activités. D’ailleurs, personne ne sait tout à fait ce qu’il fabrique durant des heures dans sa chambre. Mais finalement, le mystère n’est pas près de se dissiper. Je crois qu’aucun humain n’a osé s’aventurer dans son trou à rat depuis une décennie. Peut-être qu’il y élève justement de charmants rongeurs prêts à venir nous dévorer à la moindre occasion.

La cocotte-minute n’avait pas besoin de plus de provocation pour exploser. Je m’étonne presque de la voir soulever la tête si doucement. Je m’attendais à un jet de projectile en direction de mon adorable frérot.

J’ai l’impression d’assister à une scène de cinéma au ralenti. Je peux presque apercevoir la fumée sortir de ses oreilles au moment où elle se lève d’un bond en tendant son index en direction du grand malade qui a osé larguer ces objets de torture devant elle.

  • Édouard Jean Simon Montfort, ne t’avise même pas de passer cette porte !

Ouh là ! C’est pire que ce que j’imaginais. Lorsqu’elle balance tous nos prénoms, c’est que les secousses de la bombe qui s’apprête à exploser seront ressenties jusqu’en Nouvelle-Calédonie. Mon frangin est, certes, un petit con pédant et odieux la plupart du temps, mais c’est un mammifère, et en tant que tel, son instinct de survie est assez affûté pour qu’il se soit figé dès que la voix mélodieuse de notre chère mère s’est élevée. Après deux secondes d’hésitation, durant lesquelles il a certainement envisagé de courir vers un abri antiatomique, il se retourne doucement. Il tente de conserver une allure nonchalante. Il affiche un demi-sourire et replace une mèche de sa crinière blonde pour dégager son regard désormais tourné vers son assaillante. Mais quelques signes trahissent sa nervosité. Sa mâchoire se serre et je le vois planter ses ongles dans ses paumes.

Calme-toi, grand frère ! Tu la connais depuis dix-sept ans. Tu devrais savoir que tu ne gagneras pas face à maman-dragon !

Attention ! Impact de la première salve dans 3, 2, 1…

  • Mon cher fils, peux-tu m’expliquer pourquoi tu viens de déposer, avec douceur, cet amoncellement d’ouvrages devant moi ?

Mens ! Fuis ! Tais-toi ! Fais ce que tu souhaites. Mais surtout, ne dis pas la vérité !

Les traits d’Édouard se détendent et un sourire radieux s’étire sur son visage. Pauvre de lui ! Il baisse sa garde. Tant d’années de pratique maternelle pour se vautrer aussi lamentablement face à l’ennemi. Elle va l’atomiser.

  • Chère maman, je ne voulais pas t’obliger à te mouvoir jusqu’à ma chambre pour récupérer mes manuels scolaires. Je me suis donc déplacé pour te faciliter la tâche.

Donc mon frère est fou ! Ce n’est plus une seule, mais cinq veines qui surgissent sur le cou de ma mère. Son visage devient écarlate et se déforme tellement qu’il ressemble désormais à celui d’une vache ayant traîné un peu trop près de la clôture électrique.

Avant que j’aie le temps de m’esclaffer, je vois un livre voler et atterrir à quelques centimètres de la tête de mon frangin qui reste immobile, le regard hagard.

  • Rappelle-moi ton âge, cher fils ?

Même si sa voix semble calme et posée, tout dans son attitude trahit son énervement grandissant. Je crois apercevoir quelques mèches de ses cheveux s’élever au-dessus de son crâne.

Un sourire empli de fierté s’affiche sur le profil anguleux de mon frérot. Donc ce mec n’a aucune conscience du danger. Lorsqu’un premier son sort de sa bouche, je sais déjà qu’il ne pourra pas terminer sa phrase malgré son assurance insolente.

  • Tu es la mieux placée pour en être informée, chère maman. J’imagine que tu te trouvais dans les parages il y a dix-sept ans quand…
  • Retire immédiatement ce petit rictus suffisant de ton visage d’ange, Édouard, siffle ma mère entre ses dents.

L’amour maternel restera toujours un mystère pour moi. Son manque de discernement concernant le minois de mon frangin ne peut être dû qu’à ces fichues hormones qui poussent les espèces à ne pas rejeter leurs bambins. Tête de taureau, gueule de troll ou encore tronche de Voldemort représentent des qualificatifs qui pourraient lui seoir parfaitement. Mais « visage d’ange » est une appellation loin de décrire l’individu qui se trouve devant moi.

Je n’ai pas le loisir de réfléchir à d’autres adjectifs adéquats puisque la furie qui retenait sa colère depuis un bon moment se lance dans la tirade tant attendue.

  • Tu te fourres le doigt dans l’œil bien profondément si tu crois que je compte me coltiner tes livres à couvrir. J’ai déjà envie d’atomiser tout le corps enseignant, alors que je n’ai attaqué que le premier de ta sœur. Je ne comprends même pas pourquoi un syndicat de parents ne s’est pas encore élevé contre cette torture. Pourtant, je devrais m’y être habituée depuis toutes ces années et savoir que les professeurs nous demandent de tapisser vos bouquins juste pour se venger, par avance, de devoir se taper nos gamins insupportables toute l’année. Ils prophétisent les instants où ils souhaiteront vous pulvériser et nous punissent par anticipation. Derrière cette hérésie se cache immanquablement un projet de plus grande ampleur visant, entre autres choses, à entraîner l’explosion des neurones féminins. Je soupçonne une poignée de spécialistes masculins malfaisants de s’être réunis il y a plusieurs décennies pour trouver un moyen de faire craquer les mères. Parce que, bien sûr, même si nous étions deux pour vous fabriquer, cette basse besogne revient à la partie féminine des duos de concepteurs. Quel humain, normalement constitué, peut garder son calme en recouvrant une dizaine de manuels ? Aucun ! Cela fait une heure que je suis sur ce dossier et j’hésite encore entre les jeter au feu et mettre de la colle ultraforte pour faire fusionner le plastique avec la couverture. Au moins, j’aurais une chance de recevoir la reconnaissance éternelle de la part de mes congénères qui récupéreront ces merdes dans les prochaines années. Mais non ! Même cela, je ne peux pas le faire. Bien entendu ! Non contents de nous empoisonner l’existence avec une activité extrascolaire aussi plaisante que de se fourrer des éclats de verre directement dans les yeux, ils ont décrété que nous ne devions pas scotcher sur le livre. Pourquoi ? Certainement pour s’assurer de pourrir la vie de chaque mère tous les ans ! Bah, oui ! Pourquoi faire simple quand on peut compliquer le quotidien de la gentille ménagère ? Bienvenue à l’Éducation nationale ! Bienvenue chez les fous !

Essoufflée, mais visiblement un poil calmée, ma mère repose enfin son postérieur sur sa chaise, non sans respirer fort une dernière fois. Elle reprend son scotch en main. Elle reporte toute sa concentration sur son activité et ne prête plus attention à mon frère qui reste muet quelques secondes avant de s’avancer en douceur vers la table. Ses doigts tremblants s’approchent délicatement de l’un de ses bouquins, et alors qu’il est sur le point de l’attraper, il ose ouvrir la bouche. Son arrogance a disparu et a laissé place à un timbre bien plus posé.

  • Donc, je suppose que je dois me débrouiller pour couvrir mes livres cette année ? murmure-t-il.
  • Voilà ! Tu présumes bien, rétorque-t-elle sans lever les yeux de son ouvrage.
  • Donc, là, tu ne comptes pas m’aider ? tente mon frérot inconscient.
  • Dix-sept ans de bons et loyaux services, mon grand ! Non, je ne vais plus te mâcher le travail. Tu es en terminale, cette année. Tu as des mains. Tu as du scotch. Eh bien, couvre, maintenant !

Édouard attrape rapidement la pile de livres qu’il avait étalée devant notre mère et s’apprête à sortir en veillant à lancer un regard assassin dans ma direction. Je lui souris de toutes mes dents et me contente d’un discret signe de la main accompagné de ma plus belle œillade narquoise.

Il se retourne, et avant de passer la porte, lève sa grosse paluche vers moi, prêt à me gratifier d’un geste fraternel explicitant parfaitement son amour pour moi. Lentement, il replie ses doigts et s’apprête à relever, à la même allure, son majeur lorsque ma mère, le nez toujours plongé dans sa montagne de scotch et de papier plastifié, intervient :

  • Ne t’avise pas de terminer ce geste, mon fils. Tu risques de te trouver fort dépourvu pour couvrir ces fichus livres si je te débarrasse de l’un de tes doigts avec ma paire de ciseaux.

Je pouffe et plaque ma main devant ma bouche afin de retenir mon éclat de rire. Édouard redescend sa patte rapidement, et sans demander son reste sort de la pièce en prenant soin de claquer violemment la porte.

Mon regard se tourne instinctivement vers le visage bien plus apaisé de ma mère. Comme quoi ! Une bonne engueulade, et ça repart ! Le spectacle étant terminé, je me lève et me dirige à pas de loup vers l’issue de secours la plus proche. Je ne voudrais pas réveiller le démon. La main sur la poignée, je m’apprête à respirer à nouveau, persuadée d’être sauvée, lorsqu’un petit raclement de gorge derrière moi me stoppe dans mon élan.

  • Tu as raison, ma chérie. Profite bien de cet instant. L’année prochaine, tu entres au lycée. J’apprends de mes erreurs. Tu ne pourras pas m’exploiter autant que ton frère. Je vis cette torture pour la dernière fois. En seconde, tu te débrouilleras comme une grande. À moi la liberté et la fin des bagarres avec ce foutu scotch !

Je me tourne vers ma mère qui relève son menton juste assez longtemps pour plonger son regard émeraude innocent quelques secondes dans le mien. Un large sourire se dessine désormais sur son visage fin et elle se contente de me lancer un bisou avec la main comme si j’avais 5 ans avant de retourner à sa besogne.

Voilà ! Comment se décharger sur sa progéniture en deux leçons par Carole de Couvernie épouse Montfort.

Moi aussi, je t’aime, maman !

A suivre…

Alors, est ce qu’il te plait ce petit caméléon?

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Bisous Poutous

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