Le hasard des sentiments (premier chapitre)

Coucou,

Je te laisse découvrir le premier chapitre de mon neuvième bébé livresque. Si tu veux te jeter sur ce roman, n’oublies pas que tu peux le commander en broché ou relié directement sur ma boutique par ici. 

1

Joshua

Non ! Il n’osera pas ! Il ne peut pas ! Il ne tombera pas aussi bas. J’espère encore qu’il se respecte un peu, et surtout qu’il craint les représailles de ses homologues s’il salit à ce point leur métier. Une telle action ne pourra qu’entacher à tout jamais leur réputation.

Lorsqu’il approche sa main de la minuscule molette, je crève d’envie de lui hurler que peu importe de qui provient cette demande, il ne peut pas se compromettre autant. Malheureusement, c’est déjà trop tard ! Jusque-là, sa gestuelle plus qu’affligeante et ses petits clins d’œil en direction de son auditoire pouvaient laisser planer le doute et nous permettre d’attendre une autre issue. Mais les premières notes qui agressent mes oreilles viennent de pulvériser les dernières bribes d’optimisme de toutes les personnes possédant un minimum de bon goût présentes ce soir.

« … Et pour que tout l’monde se marre, remuez le popotin… »

Si mes esgourdes étaient les seules à subir une telle agression, je pourrais presque lui pardonner. Mais cette douce mélopée parvient systématiquement à transformer le plus classe des convives en parfait beauf qui se réjouit de ressembler à un anatidé avec une cravate autour du cou. Tous mes espoirs se reportent sur le père de madame, arborant fièrement son uniforme de militaire et qui n’a pas décroché un sourire de toute la journée. Résiste, Jean-Jacques, ou quel que soit ton prénom ! Je t’en prie, permets-moi de croire encore un peu en l’humanité.

« … Tournez, c’est la fête ! Bras dessus-dessous. Comme des girouettes, c’est super chouette, c’est extra-fou… »

Nonnnnnn ! Il a craqué. Il a suffi d’une main tendue par la cousine qui porte une robe moulante si courte que j’ai pensé qu’elle avait oublié son pantalon et il n’a pas su refuser l’appel de la piste de danse. Mais ce n’est pas à eux que je peux en vouloir. Depuis le temps, je devrais me souvenir que le pouvoir d’attraction de cette chanson est irrésistible pour le commun des mortels.

« … C’est la danse des canards qui en sortant de la mare se secouent le bas des reins et font coin-coin… »[1]

Mes oreilles saignent. Si je n’étais pas payé pour rester à supporter cela encore plusieurs heures, j’aurais déjà fui, loin, très loin.

Après une énième tentative pour capter une image correcte de celle qui devrait resplendir de mille feux, j’abandonne ! Je parcours les quelques clichés que je suis parvenu à prendre. C’est donc officiel, ces foutus palmipèdes possèdent un puissant pouvoir : ils réussissent à enlaidir la plus jolie des nénettes. Même une magnifique robe blanche, un maquillage de poupée et une coiffure aussi travaillée que celle de la grande Marie-Antoinette ne peuvent rien face à un florilège de grimaces et autres positions approximatives.

« … Ne soyez pas en retard, car la danse des canards, c’est le tube de demain. Il suffit d’fermer son bec en mettant ses plumes au sec… »

Alors, non ! Même au moment de sa sortie en 1981, cette charmante mélodie pouvait recevoir tout un tas de qualificatifs, mais certainement pas être considérée comme « le tube de demain ».

Et puis, ne me dites pas que depuis le temps que ce métier existe, ils n’ont pas eu idée de créer un ordre des DJ ! Je ne peux pas penser que nous ne possédons aucun moyen de recours contre de telles attaques. Les gars se sont forcément réunis pour décider des diffusions acceptables. Au regard des effets secondaires dévastateurs pour l’image de toute personne saine d’esprit, je suis certain que l’ensemble de la profession a opté pour une interdiction de transmission depuis les années 2000.

En même temps, le look du bonhomme aurait dû me mettre la puce à l’oreille. Aucun gars choisissant, de son plein gré, d’arborer une coupe mulet ne peut assurer une diffusion musicale de qualité.

  • Allez, détends-toi ! Au moins, tu vas pouvoir leur concocter un album-bêtisier qu’ils trouveront « tellement drôle » que tu te feras encore des couilles en or, alors que tu te contentes d’appuyer sur un bouton !

Totalement absorbé par les gesticulations ignobles de tout ce petit monde, je n’ai pas vu Franck s’approcher de moi. Pourtant, il ne passe pas inaperçu. Outre son accoutrement bien en décalage avec tous les convives endimanchés, il frôle quasiment l’armature du chapiteau, du haut de ses deux mètres.

  • Peux-tu me dire où ils sont allés chercher ce DJ ? N’étais-tu pas censé les guider pour qu’ils s’entourent des meilleurs pour le plus beau jour de leur vie ?
  • Un grand classique : la tata de la mariée a insisté pour que son fils récupère le poste sous prétexte qu’il la connaît tellement bien qu’il réussira mieux que quiconque à adapter l’ambiance à ses envies. Mais ne joue pas les rabat-joie, Josh, laissons-lui une chance. Peut-être qu’il a simplement dérapé et cédé à la pression d’un oncle trop bourré.

J’admire l’optimisme de mon ami. Pourtant, depuis le temps que nous écumons les mariages ensemble, il devrait savoir qu’un DJ ne se loupe jamais une seule fois. S’il ose lancer La Danse des canards, rien ne l’arrêtera !

« Tous les enfants de ma cité et même d’ailleurs. Et tout ce que la colère a fait de meilleur… »

Voilà ! Voilà ! Dès les premières notes, plusieurs amis du marié obéissent aux injonctions non encore formulées de cette superbe chanson. Je me tourne vers Franck qui retient difficilement son fou rire.

« … et que surgissent de la scène des volcans. On a tombé, on a tombé la chemise. (Tomber la). Oui moi j’ai tombé, j’ai tombé la chemise… »[2]

Ça y est, la moitié de l’assemblée se désape tranquillement, et en plus, ils semblent ravis !

  • Bon, OK ! Ce mec peut prétendre au titre très prestigieux de DJ le plus ringard de l’année.
  • Tu plaisantes ? Il gagne haut la main avec un enchaînement pareil !
  • Ne précipitons pas la remise des prix, je te rappelle que nous ne sommes qu’en avril et que la saison des mariages ne fait que commencer ! Nous allons rencontrer encore un nombre conséquent de postulants. Le trophée est très convoité.

Nous arrêtons tous les deux de parler. Notre regard est attiré vers le marié qui vient d’effectuer son entrée sur la piste en exécutant des pas de danse improbables plus proches des déambulations d’un crabe sous LSD que d’une réelle chorégraphie maîtrisée. Je stoppe ma respiration au moment où il pose sa main sur son col. Non ! Ne fais pas ça ! Tu es la star de la soirée. Tu as payé une fortune pour ce costard afin de t’assurer d’être plus classe que tous les hommes présents. Tu ne peux pas te fourvoyer à ce point !

Lorsqu’il commence à déboutonner sa chemise tout en faisant tournoyer sa cravate au-dessus de sa tête, j’envisage de détourner le regard de ce désastre, mais mon ami me rappelle à l’ordre :

  • Je valide totalement ton envie irrépressible de t’isoler loin de ce naufrage. Néanmoins, je te signale que les nouveaux époux te payent une petite fortune pour bidouiller ton engin et appuyer plusieurs fois sur tes bitoniaux[3] étranges afin qu’ils conservent des souvenirs de tous les instants de cette journée. Le marié sera certainement ravi d’admirer son torse velu sur les jolis clichés que tu lui transmettras.
  • Et toi, tu n’as pas de petits choux à fourrer ou une chantilly à monter au lieu de me donner des leçons sur mon métier ? grogné-je.
  • Pourquoi est-ce que dans ta bouche, les références culinaires semblent avoir un double sens bien plus pervers ? me réplique Franck

Je m’apprête à poursuivre cette joute verbale fort sympathique lorsque la mère de la mariée s’interpose entre nous en m’assenant un coup de chapeau au passage. Outch ! Son truc hideux rose bonbon serait-il composé de plomb ?

  • Je croyais pourtant vous avoir signalé que le repas de mon père devait être servi sans sel. Je viens de goûter son assiette et je peux vous assurer que la consigne n’a pas été respectée. Jugez par vous-même !

Joignant les gestes à la parole, la dame approche une fourchette si près du visage de mon ami que je me demande même si elle n’est pas montée sur ressort pour parvenir si facilement à atteindre la bouche du géant. Malgré le regard de tueur que lui lance Franck, elle ne se désarçonne pas et appuie brusquement le bout de poulet sur les lèvres du molosse qui finit par céder et déguster le morceau qu’elle lui présente.

  • Vous penserez à féliciter votre chef. Ce mets est divin et parfaitement assaisonné.
  • Vous moquez-vous de moi, monsieur ? C’est vous, le responsable. Je viens justement vous parler de ce problème. Ce plat ne devrait pas être relevé !

Un petit rictus accroché sur son visage carré, Franck remet son immense toque en place, essuie des miettes imaginaires sur son tablier et effectue quelques pas en direction de la cuisine avant de se retourner et de pointer du doigt une table à quelques mètres de l’entrée.

  • Madame, peut-être pourriez-vous résoudre ce mystère en regardant votre père présentement. Je crois qu’il apprécie grandement la salière laissée à la disposition des convives. Vous m’excusez, je dois regagner mes cuisines pour coordonner les préparatifs du dessert.

Il parvient à peine à terminer sa tirade que dame bonbon fonce en direction d’un monsieur qui semble presque jouir à chaque bouchée qu’il ingurgite.

Franck, hilare, repart en direction de son antre en prenant soin de me gratifier d’un clin d’œil appuyé avant de disparaître.

La capacité de ce mec à se montrer impassible en toutes circonstances me surprendra toujours. Mais cela ne devrait plus m’étonner. Dès notre première rencontre, j’ai su que ce gars pouvait servir d’illustration à l’expression « force tranquille ». Je n’oublierai jamais son entrée dans l’appartement. Par le judas, je n’apercevais que du tissu noir. Ce n’est que lorsque j’ai ouvert la porte que j’ai compris que je ne pouvais voir autre chose que le torse de ce géant. Mon premier réflexe en tombant nez à nez avec l’armoire à glace a été de chercher une issue, avant de me rappeler que je me trouvais chez moi. À l’époque, histoire d’accompagner au mieux sa carrure, il arborait une coupe en brosse plus millimétrée que celle de John McClane[4] et portait exclusivement des vêtements sombres. Son regard bleu clair ne parvenait pas à adoucir son visage anguleux et à faire oublier sa mâchoire si large qu’il aurait aisément pu me broyer les os en un coup de crocs !

Il était censé nous rencontrer pour un entretien en vue d’intégrer la colocation et il s’est retrouvé à jouer les médiateurs pour que la précédente occupante des lieux accepte de partir sans nous étrangler. Je me demande encore comment il a réussi à convaincre cette furie de sortir tranquillement.

Après avoir supporté durant plusieurs mois les bestioles en tous genres allant jusqu’au python de trois mètres, ainsi que les entrées permanentes de bonshommes qui s’étaient avérés être ses clients venus acheter leurs doses, nous avions enjoint à la demoiselle de quitter la coloc. Bien sûr, elle ne comprenait pas les raisons de notre choix et ne daignait pas bouger.

Lorsque nous avions présenté la situation à Franck, il s’était contenté de s’isoler cinq minutes avec la demoiselle. Elle avait commencé son déménagement immédiatement, le sourire aux lèvres. Je n’ai jamais eu connaissance des propos échangés et je crois que je préfère que le mystère reste entier.

C’était il y a cinq ans et depuis, il n’a plus quitté la coloc. Au fil des mois, j’ai appris à connaître ce géant au grand cœur aussi doux qu’un agneau. Je peine encore souvent à capter son humour très pince-sans-rire, mais je l’adore. Même si je risque un torticolis chaque fois que je veux lui causer, je ne peux plus me passer de lui.

 

Une demi-heure plus tard, j’ai déjà récolté une vingtaine de clichés improbables allant du regard libidineux de papy Roger sur le décolleté de la cousine à peine majeure jusqu’à l’accolade très complice du marié avec l’une des témoins de madame. Au fil des années, je m’aperçois que les convives m’oublient très vite au cours de la soirée. Comme répliquerait Franck avec sa délicatesse légendaire : « Tu es tellement minus que tu peux presque te planquer sous les tables sans te baisser pour prendre tes foutues photos ! Mais t’inquiète, mec ! Tout ce qui est petit est mignon ! Enfin, il paraît. ». Bien sûr, à côté du molosse, je semble minuscule malgré mon mètre soixante-dix-huit tout à fait honorable !

Et puis, me fondre dans le décor fait partie de mon job. Je m’arrange toujours pour porter des tenues sombres et éviter les extravagances capillaires ou barbières[5]. J’ai appris à cultiver le look négligé-soigné à la perfection. Je fais en sorte de discipliner ma touffe brunâtre pour ne pas ressembler à Jack Sparrow[6], un lendemain de cuite. Parallèlement, j’oublie le rasage durant les trois jours précédents pour ne pas être confondu avec un invité. Résultat : pendant les mariages, je me rapproche d’un scout gothique dont la puberté serait arrivée bien trop vite et qui ne parviendrait pas à gérer sa pilosité correctement.

Mais grâce à ces techniques de grand professionnel, je peux aisément capter tous les instants qui devaient rester discrets. Évidemment, comme d’habitude, je devrai garder ces pépites dans ma collection personnelle si je veux éviter d’être à l’origine d’un divorce ou d’une brouille familiale.

« Saga Africa, ambiance de la brousse. Saga Africa, attention les secousses !… »

Quand les dérapages deviennent permanents, peut-on considérer que c’est un choix délibéré ? Je crois que ce énième choix chaotique de mon ami le DJ sonne le moment de ma pause. Après les stripteases intempestifs de tout ce petit monde, je ne supporterai pas le dévoilement de panards que provoque systématiquement cette chanson sous prétexte que : « Yannick, il est trop classe. Viens, on fait comme lui et on danse pieds nus ! ».

Ce soir, nous aurons donc tout eu ! Après les chorégraphies animalières et le déballage de poils, je n’endurerai pas les odeurs immondes qui vont envahir la pièce dans dix secondes.

Je vous laisse profiter, mesdames et messieurs ! Je reviendrai lorsque vous retrouverez votre dignité, qui s’est visiblement fait la malle avec votre ego et votre amour propre.

[1] Oui, j’ai osé ! Je n’ai plus de limites. Je vous mets de superbes chansons dans la tête dès le début d’un roman maintenant. Ne me remerciez pas. Petite astuce : il paraît qu’il faut chanter une mélodie dans son intégralité pour qu’elle sorte de votre esprit… Plus que quelques remuages de popotin et vous serez libérés. Bon courage !

[2] Voilà, après deux chansons bien pénibles ancrées dans votre cerveau, je crois que l’on peut s’accorder sur le fait que ce livre commence très très bien !

[3] Ce mot charmant est formé à partir de bitton, qui désignait une petite bitte. Je vois déjà vos regards choqués, mais rassurez-vous, je ne parle évidemment pas de l’excroissance de chair pendant entre les jambes masculines. La bitte est une petite pièce de bois ou de métal de forme conique servant à amarrer les cordes, sur le pont d’un navire. Voilà ! C’était la minute culture.

[4] Je vous parle évidemment du personnage de l’excellente série de films Die Hard. Si vous aimez les films d’action bien tranquilles et surtout sans surprises, idéaux pour un dimanche soir permettant de poser le cerveau après un week-end trop chargé, foncez. En revanche, je fais référence à la coupe de notre cher Bruce Willis dans le premier volet de la saga, Piège de cristal. D’une part, il s’agit, bien sûr, du meilleur. D’autre part, au fil des années et donc des épisodes, notre Bruce adoré a subi les effets du temps et s’est franchement déplumé. Eh oui ! Même les stars ne résistent pas aux conséquences de la vieillerie. Mais on t’aime quand même, Bruce !

[5] Il semble que la langue française soit bien trop restrictive et que ce mot n’existe pas en tant qu’adjectif. En effet, il s’agit du féminin de barbier. Mais vu que je suis autrice, je fais ce que je veux ! Voilà.

[6] Ah ! Cette époque bénie où Johnny (Depp évidemment) était entretenu par notre chère Vanessa et où on aurait toutes payé des fortunes pour passer une nuit avec le beau pirate ! Mais ça, c’était avant !

 

Et si tu souhaites te procurer ce super roman sur Amazon, c’est par ici

Bisous Poutous

1 réflexion sur “Le hasard des sentiments (premier chapitre)”

  1. Michelet Valérie

    T’as fait ma journée là !! Avec la flotte qui tombe en ce moment, ça met un peu de soleil dans les mirettes !! Un chapitre qui annonce des éclats de rire toute seule en lisant bien confortablement installée à coté de mon toutou, qui va encore me prendre pour une cinglée car je rigole toute seule ! Merci merci ! Bisous

Les commentaires sont fermés.

Panier